1. La lecture du saint évangile, frères très chers, nous avertit de réfléchir à ne pas risquer d'être jugé plus rigoureusement que les autres, étant donné que nous avons plus reçu qu'eux du Créateur du monde. Quand les dons augmentent, les comptes à rendre pour ces dons sont plus lourds. Chacun doit être d'autant plus humble et plus prompt à servir qu'il reconnaît avoir plus d'obligations dans le compte à rendre pour les grâces reçues. Voilà un homme qui partant à l'étranger
appelle ses serviteurs et leur distribue des talents à faire fructifier. Après bien du temps il revient décidé à faire les comptes; il récompense ceux qui ont bien travaillé pour le gain obtenu, mais condamne le serviteur indolent qui n'a fait aucun bon travail. Quel est donc cet homme qui va à l'étranger si ce n'est notre Rédempteur qui retourne au ciel dans l'humanité qu'Il a assumée ? En effet la terre est le lieu qui correspond à l'humanité et l'humanité est comme conduite à l'étranger lorsqu'elle est emmenée au ciel par notre Rédempteur. Cet homme partant à l'étranger a confié ses biens à ses serviteurs en accordant des dons spirituels à ses fidèles. Il a confié à l'un cinq talents, à l'autre deux, au troisième un seul. Les cinq talents sont les cinq sens : la vue, l'ouïe, le goût, l'odorat et le toucher. Le don des cinq sens c'est à dire la connaissance du monde extérieur est figurée par les cinq talents. Les deux talents désignent le travail intellectuel et le travail manuel. Le talent unique désigne le seul travail intellectuel. Celui qui avait reçu cinq talents en gagna cinq autres : symbolise quelques personnes qui, bien qu'incapables de comprendre les domaines intérieurs et mystiques enseignent cependant à ceux qu'ils peuvent des choses droites en vue de la patrie céleste en s'appuyant sur les dons extérieurs qu'ils ont reçus. Et ces personnes là en se gardant bien des convoitises de la chair, de la poursuite des biens terrestres et des plaisirs attachés aux biens visibles en détournent les autres en les avertissant. Et d'autres personnes, comme enrichies de deux talents, connaissent le travail intellectuel et le travail manuel, comprennent les subtilités des réalités intérieures et accomplissent des actions extérieures admirables. Lorsqu'elles instruisent les autres par leur travail intellectuel et manuel, elles rapportent de cette tractation comme un double gain. Il est bien dit que cinq ou deux talents ont fructifié : en effet lorsque l'enseignement est donné à l'un et l'autre sexe, les talents reçus sont comme doublés. Quant à celui qui n'ayant reçu qu'un talent s'en est allé creuser la terre et y cacher l'argent de son maître, il symbolise celui qui utilise l'intelligence reçue à des actions terrestre sans rechercher un gain spirituel, sans jamais élever son coeur au-dessus de pensées terre à terre. En effet il y en a quelques uns qui ont reçu le don d'intelligence et cependant n'ont de goût que pour les attraits de la chair. De ceux-ci le prophète Jérémie a dit : «Ils sont habiles à faire le mal mais ils n 'ont pas su faire le bien.» (Jer 4,22). Mais le Seigneur qui a donné les talents, revient demander des comptes : Celui qui a accordé avec bonté les dons spirituels, demande quand vient l'heure du jugement, l'exact compte des services rendus, il considère ce que chacun a reçu et apprécie comment chacun a fait fructifier les dons reçus.
2. Le serviteur qui a rapporté le double des talents est félicité par le maître et conduit à la récompense éternelle lorsque le maître lui dit : «Très bien, bon et fidèle serviteur. Puisque tu as été fidèle pour ces quelques affaires, je t'en confierai beaucoup; entre dans la joie de ton maître. En effet les biens de la vie terrestre, même s'ils paraissent importants, sont infimes en comparaison de la récompense éternelle. Car le serviteur fidèle est établi sur beaucoup de choses quand tout le désagrément de ce qui se corrompt ayant disparu, il goûte les joies éternelles sur un siège céleste. Il est introduit parfaitement dans la joie de son Maître quand, admis à cette patrie céleste, et mêlé aux choeurs des anges, il se réjouit intérieurement de la récompense reçue sans plus jamais souffrir de ce qui est corruptible.
3. Quant au serviteur qui n'a pas voulu faire fructifier son talent, il revient à son Maître avec les excuses suivantes : «Maître, je sais que tu es un homme âpre au gain, tu moissonnes où tu n'as pas semé, tu ramasses où tu n'as rien mis; je t'ai quitté rempli de crainte et j'ai caché ton talent dans la terre; voici donc ce qui t'appartient.» Remarquons que le serviteur inutile traite son maître d'âpre au gain; cependant il a tout de même soin de ne pas dire qu'il est à son service; il dit qu'il a craint de dépenser le talent pour en obtenir un bénéfice, alors qu'il aurait dû craindre seulement de le rapporter au Maître sans bénéfice. Il y en a beaucoup en effet dans la sainte Église dont ce serviteur est le portrait : ils craignent de se mettre en route sur la voie d'une vie meilleure et ne rougissent pas de se reposer dans l'inaction de leur indolence; alors qu'ils se considèrent comme pécheurs ils ont peur de prendre les voies de la sainteté, et ne craignent pas de demeurer dans leurs iniquités. Saint Pierre est bien leur image, lorsque étant encore dans sa disposition de faiblesse, il dit à la vue du miracle des poissons : «Éloignez-vous de moi, Seigneur, car je suis un pécheur.» (Luc 5,8). Au contraire si tu te considères comme pécheur, ne repousse pas le Seigneur loin de toi ! Mais ceux qui ne veulent pas prendre la route d'un meilleur genre de vie et l'abri d'une vie plus droite parce qu'ils se voient faibles : ceux-là s'avouent pécheurs, ils repoussent le Seigneur, ils fuient celui qu'ils devraient sanctifier en eux-mêmes, troublés ils manquent de sagesse alors qu'ils meurent et ils ont peur de la vie. A ce serviteur il est aussitôt répondu : «Serviteur mauvais et paresseux, tu savais que je récoltais où je n 'avais pas semé, que je ramassais où je n'avais rien mis; tu devais donc mettre mon argent à la banque et en revenant j'aurais eu de toute manière intérêt et principal.» Le serviteur est pris par ses propres paroles quand le Maître dit : «Je récolte où je n'ai pas semé, je ramasse où je n'ai rien mis.» C'est comme s'il disait clairement : si à t'en croire je réclame ce que je n'ai pas donné combien plus te réclamerai-je ce que je t'ai donné à faire valoir; il fallait donc que tu confies mon argent au banquier et en revenant, j'aurai récupéré le capital avec les intérêts. Confier de l'argent au banquier, c'est donner la science de la prédication à ceux qui sont capables de l'utiliser.
4. Mais comme vous voyez le péril où nous serions si nous conservions pour nous l'argent du Seigneur, pensez en conscience, frères très chers, qu'on exigera de vous avec les intérêts ce que vous recevez en nous écoutant. Dans l'usure en effet on réclame même l'argent qui n'a pas été donné : là en effet quand on rend ce qui avait été reçu s'ajoute ce qui n'avait pas été reçu. Pensez donc, frères très chers, que vous devez les intérêts de cet argent reçu par la parole; à partir de ce que vous avez entendu, cherchez à comprendre d'autres choses que vous n'avez pas entendues, ainsi en tirant les unes des autres, apprenez par vous-mêmes ce que vous n'avez pas encore appris de la bouche du prédicateur. Quant au serviteur paresseux, écoutons de quelle sentence il est frappé : «Prenez-lui ce talent et donnez-le à celui qui en a dix.»
5. Il paraissait assurément raisonnable que l'unique talent retiré au mauvais serviteur fut donné à celui qui en avait reçu deux plutôt qu'à celui qui en avait reçu cinq. On doit en effet donner plus à celui qui a moins qu'à celui qui a plus. Mais comme nous le disions précédemment, les cinq talents désignent les cinq sens, c'est-à-dire la connaissance des choses extérieures, alors que les deux talents représentent le travail intellectuel et le travail manuel. Donc celui qui a reçu deux talents a reçu plus que celui qui en a reçu cinq. Car celui qui par ses cinq talents mérite de gérer les choses matérielles, n'a pas l'intelligence des biens intérieurs. Donc le talent unique qui représente cette intelligence, comme nous l'avons dit, doit être donné à celui qui a bien administré les biens matériels qu'il a reçu. Cela tous les jours nous le voyons dans la sainte Église : la plupart, lorsqu'ils administrent bien les choses matérielles dont ils ont reçu la charge, sont aussi conduits par une grâce supplémentaire à l'intelligence mystique; de cette façon, ceux qui ont administré fidèlement les choses extérieures ont aussi l'intelligence des choses intérieures.
6. Une pensée générale s'ajoute ici aussitôt : «On donnera à celui qui a et il sera dans l'abondance, mais à celui qui n'a pas, on prendra même ce qu'il parait posséder.» En effet on donnera à celui qui a et il sera dans l'abondance parce que celui qui a la charité reçoit aussi d'autres dons. Celui qui n'a pas la charité perd même les dons qu'il paraissait avoir reçu. Il est donc nécessaire, mes frères, dans tout ce que vous faites, de veiller à garder la charité. La charité vraie c'est aimer en Dieu son ami et aimer son ennemi à cause de Dieu. Celui qui n'a pas la charité, perd tout le bien qu'il a, il est privé du talent qu'il avait reçu et il est envoyé dans les ténèbres extérieures sur l'ordre du Seigneur. Par punition, assurément, tombe dans les ténèbres extérieures, celui qui par sa faute est tombé de lui-même dans les ténèbres intérieures. Et poussé là-bas il souffre les ténèbres de la punition, lui qui librement s'était mis dans les ténèbres du plaisir.
7. Il faut bien savoir qu'aucun paresseux n'est dispensé d'inquiétude concernant la responsabilité d'un talent reçu. En effet personne ne peut dire avec vérité : je n'ai pas reçu de talent du tout donc je n'ai pas à rendre de comptes. En effet dans ce domaine des talents il sera demandé compte à n'importe quel pauvre de ce qu'il a reçu même si c'est très peu de chose. Car l'un qui a reçu l'intelligence est redevable du ministère de la prédication à cause de ce talent. L'autre qui a reçu une fortune terrestre doit faire la distribution de ce talent à partir de ses biens. Quant à un autre qui n'a reçu ni l'intelligence des biens intérieurs, ni une abondance de ressources, mais a appris le métier qui lui assure sa subsistance, son métier même lui est reconnu comme talent reçu. Un autre n'a rien eu de tout cela, mais il a peut être gagné l'amitié d'un riche : il a reçu ainsi comme talent cette amitié. S'il ne dit pas un mot à son ami en faveur des pauvres, il sera condamné pour avoir égoïstement gardé ce talent de l'amitié. Étant doué d'intelligence, il doit prendre soin de ne pas se taire; l'autre possédant des biens en abondance, doit éviter de s'endormir sans exercer une largesse miséricordieuse; celui qui a les dons voulus pour bien gouverner, a le grand devoir de faire profiter le prochain de l'emploi et de l'utilité de ses dons; celui qui a l'occasion de parler à un riche, doit craindre d'être puni pour avoir conservé ce talent pour lui si en mesure de plaider la cause des pauvres, il ne l'a pas fait. Le juge qui doit venir exigera de chacun de nous autant qu'il a donné. Donc pour avoir la conscience tranquille sur le compte à rendre des talents reçus, quand reviendra le Seigneur, chacun doit penser chaque jour avec crainte à ce qu'il a reçu. C'est qu'il est déjà proche le moment où celui qui est parti à l'étranger va revenir. Car c'est bien en quelque sorte à l'étranger qu'est parti celui qui a quitté cette terre où il était né. Mais il va revenir demander compte des talents et si nous sommeillons sans faire le bien, il nous jugera sévèrement à propos des dons qu'il nous a accordés. Considérons donc les talents que nous avons reçus et soyons vigilants pour leur utilisation. Que nul souci terrestre ne nous détourne de l'oeuvre spirituelle de crainte que si nous cachions le talent dans la terre, le maître de ce talent ne se mette en colère. Lorsque le Juge va examiner les fautes, le serviteur paresseux retirera de la terre son talent. En fait, il y a beaucoup de gens qui ne sont arrachés à leurs désirs et à leurs activités terrestres que pour être entraînés au supplice éternel par décision du juge. Soyons donc à l'avance soucieux du compte à rendre de nos talents; ainsi au moment où le Juge sera sur le point de sanctionner, le profit que nous en aurons tiré nous justifiera. Et que Dieu nous protège Lui qui vit et règne dans les siècles des siècles, amen.